“Et pour ceux qui pensent que les aventures sont dangereuses, je dis,
essayez la routine qui vous tue beaucoup plus rapidement.”
“And for those who think that adventures are dangerous, I say,
try routine, that kills you much more faster.”
Paulo Coelho
Mercredi 1er avril 2015
“Thibault Le Blay naquit en 1774 dans le petit port de pêche du Guilvinec en Bretagne. Son père, marin, disparait en mer alors qu’il n’a que six ans. Sa mère se retrouve seule avec ses six enfants et se remarie, peu de temps après, avec un homme aussi peu paternel que fortuné. Pour fuir un foyer devenu inhospitalier, Thibault embarque sur un navire et devient mousse. Il a 12 ans. Quatre ans plus tard, il abandonne la mer et travaille chez un forgeron puis chez un charpentier. Ses pas le mènent à Paris où il découvre différents métiers. On dit même qu’il suivit un cirque pendant deux ans pour y être acrobate, réminiscence de son aptitude à grimper dans les voiles.
À l’aube du 19e siècle, du haut de ses 23 ans, Thibault part pour les Amériques sur un bateau qui rentre après avoir convoyé du tabac et du coton au Havre. De cette traversée de 75 jours, Thibault ne garde que le souvenir de l’inconfort et de la puanteur de l’entrepont. Il débarque dans le port de New York en 1797. On perd sa trace pendant deux ans pour la retrouver au Québec où il se lance dans la trappe.
”Thibault Le Blay was born in 1774 in the small fishing harbour of Le Guilvinec, in Brittany. His father, who was a sailor, disappeared at sea the year Thibault turned six. His mother was left alone to raise six children. She remarries a rich man. Unfortunately, he has no sense of paternal responsibility. To escape a home now inhospitable, Thibault gets on a ship and becomes an apprentice. He is twelve. Four years later, he gives up his job to work for a blacksmith, then a carpenter. He then makes his way to Paris where he learns different crafts. It is even said that he was with a circus for two years where he practiced the profession of acrobat, reminiscence of his abilities to climb in the sails.
When the year 1800 dawned there, Thibault is 23 and goes to the Americas on a boat that has delivered tobacco and cotton to Le Havre. Seventy-five days at sea, Thibault kept only the memory of the discomfort and the stench of the steerage. He lands at the port of New York in 1797. His trace is lost and two years later he is residing in Quebec, he’s now a trapper.
”Thibault a déjà connu plusieurs hivers comme trappeur lorsqu’il fait la connaissance de Toussaint Charbonneau et de son épouse shoshone Sacagawea. Il se lie d’amitié avec eux et les accompagnent à Fort Mandan dans le Dakota. Ils y passent l’hiver et y rencontrent Meriwether Lewis qui les engagent pour son expédition visant à rallier le Pacifique par la terre. Ils partent le 7 avril 1805 et n’atteindront le Pacifique que le 7 novembre suivant, après bien des aventures. Durant ces quelques mois, Thibault apprit des bases de dialectes indiens et le langage des signes grâce à l’interprète, Georges Drouillard. Le voyage du retour fut éprouvant mais lorsqu’ils arrivent à Saint-Louis le 23 septembre 1806, accueillis par des centaines de personnes, il a suffisamment d’économies et décide d’aller s’installer au Canada.
”Thibault has already gone through several winters as a trapper when he meets Toussaint Charbonneau and his Shoshone wife, Sacagawea. He befriends and follow them to Fort Mandan, Dakota. They spent the winter there and meet Meriwether Lewis who hires them for his expedition: reach the Pacific by land. They leave April 7, 1805 and reach the Pacific as November 07 of the same year after many adventures. During these few months, Thibault learned the Indian dialects bases and sign language thanks to the interpreter, George Drouillard. The return journey was challenging but when they arrive in St. Louis September 23, 1806, greeted by hundreds of people, he has enough money to decide to settle permanently in Canada.
Lors de son voyage de retour au Canada, après avoir traversé l’Iowa et le Minnesota, il s’établit quelques temps dans le Dakota. Il y fait commerce de peaux avec les indiens Cree. Leur mode de vie, en harmonie avec la nature, lui convient parfaitement. Il devient ce que les citadins nomment avec un peu de mépris : un indien blanc […]
When returning to Canada, after crossing Iowa and Minnesota, he stays for a while in Dakota. He trades skins, pelts or furs with Cree Nation. Thibault enjoys their traditional way of life in harmony with nature. He becomes what city-dwellers name with contempt, white indian. But he doesn’t care […]
”Sa rencontre avec le chef Cikon (printemps) va changer sa vie. Celui-ci lui donne sa plus jeune fille en mariage. Thibault accepte d’épouser Kishi (la nuit) pour ne pas altérer ses relations commerciales avec les Crees. Au début, il ne sait que penser de celle qui n’est encore qu’une enfant de 15 ans. Dix huit ans les séparent. Rapidement cependant, elle s’avère une aide précieuse, pour le tannage des peaux qu’elle maitrise parfaitement, la confection des vêtements et la fabrication de nombreux ustensiles du quotidien.
Kishi s’épanouit auprès de cette homme qui lui manifeste respect et tendresse bienveillante. Au fil des ans, elle devient une magnifique jeune femme digne de son rang de princesse cree. La cohabitation forcée des premiers temps se métamorphose en complicité puis en amour […]
Le couple finit par quitter le Dakota pour s’établir définitivement au Canada.
”His meeting with the chief Cikon (spring) will change his life. He gives him his youngest daughter in marriage. Thibault agreed to marry Kishi (night) in order to not alter its trade relations with the Crees. At first he doesn’t know what to think of her, she’s still a child of fifteen years. Eighteen years separate them. Quickly, Kishi demonstrates what she is capable of concerning skin-tanning, making clothes and utensils.
Kishi blooms near that man who respects her with kindly tenderness. In a few years, the girl turned into a beautiful young woman worthy of his rank of Cree princess. The forced cohabitation metamorphose into complicity and love […]
Finally, the couple left Dakota to settle permanently in Canada.
Jeudi 2 avril 2015
[…] Le long des berges d’une rivière, Thibault pose des pièges depuis trois heures déjà lorsqu’il entend un homme éructer et jurer à plusieurs dizaines de mètres. Il s’exprime dans une langue inconnue, certainement pas une langue indienne en tout cas. Thibault suit le lit de la rivière gelée pour arriver devant un spectacle qui ne manque pas de lui arracher un sourire. Le trappeur devant lui est dans une fâcheuse posture mais sa position instable offre un aspect comique indéniable. Il avait vraisemblablement essayé de traverser la rivière en empruntant un pont de neige qui avait du s’écrouler sous le poids de son traîneau. L’homme a des skis aux pieds ce qui est plutôt inhabituel. En effet, Thibault, comme la plupart des trappeurs préfère les raquettes des indiens qui permettent de se mouvoir aisément même sur des sols largement ensevelis sous d’épaisses couches de neige. Le trappeur, en équilibre précaire sur la berge opposée, ne peut bouger sous peine d’aggraver sa situation et de voir son traîneau et son précieux chargement d’or brun disparaître dans le lit de la rivière. Le printemps commence à lancer ses premières attaques contre l’hiver rendant de plus en plus aléatoires les passages des cours d’eau.
[…] The river banks were dotted with traces of otters. Thibault sets traps for three hours now when he hears a man belch and curse from several ten meters, speaking in an unknown language. Thibault followed the bed of the frozen river and discover a trapper in an awkward position but its unstable position has an undeniable comic aspect. The trapper had to try crossing the river via a snow bridge that collapsed under the weight of his sleigh. Thibault notices that he has skis which is rather unusual. Most trappers prefer Indian snowshoes which allow you to move easily even on deep snow. The man is in a precarious state, moving would aggravate an already unenviable situation and his sleigh and its precious cargo brown gold would disappear in the river bed. Spring begins to launch its first attacks against the winter and rivers passes are increasingly uncertain.
Thibault siffle pour signaler sa présence et rassurer le trappeur. Celui-ci tourne la tête et lui jette un regard surpris avant d’esquisser un sourire au travers de l’immense barbe qui lui mange le visage enfoui sous un bonnet en peau de loutre. Thibault sort une corde de son sac et l’enroule autour d’un des bouleaux qui bordent la rivière. Il descend le long de la berge en laissant filer sa mitaine le long de la corde. Une fois arrivé près du traîneau, il enlève son gant et le serre avec ses dents pour ne pas le perdre. De sa main libérée, il attrape l’extrémité de la corde qu’il passe autour de l’arrière du traîneau. Il fait le noeud d’une seule main comme il l’a appris lorsqu’il était mousse. Ses geste sont précis et rapides sans jamais céder à la moindre précipitation. Il remonte le long de la berge en s’aidant de la corde et entreprend immédiatement de remonter le traîneau.
Thibault whistles to indicate his presence. The trapper turns his head and looks at Thibault then he smiles through his huge beard. He wears a cap crafted with otter pelts. Thibault takes a rope and wraps it around one of the birches that lined the river. He goes down along the riverbank letting go his glove along the rope. Once near the sleigh, he takes off his right glove, grabs the end of the rope and places it around the back of the sleigh. He makes the knot with one hand as he learned on the boats. His gestures are precise and fast without any precipitation. He goes up along the river bank with the help of the rope and immediately begin to unravel the sled.
Le trappeur s’est détaché de son attelage et parvient alors sans difficulté à remonter sur la rive. Sa vie n’a jamais été en danger, mais il risquait de perdre le travail de deux mois de trappe ce qu’il ne peut se permettre. Après avoir contourné le coude de la rivière et trouvé un passage, il se présente devant Thibault. La poignée de main est chaleureuse et pleine de reconnaissance. Le trappeur connait quelques mots de français et parvient à expliquer à Thibault qu’il est hollandais. Il fouille dans son traîneau et en sort une magnifique peau de castor qu’il lui offre. Le pelage oscille du noir profond au marron clair avec des reflets roux, Thibault a rarement vu un moiré aussi chatoyant. Il imagine les mitaines somptueuses que Kishi va pouvoir en faire […] Le trappeur allume sa pipe et à la façon dont il tire dessus, Thibault comprend qu’elle constitue une amie précieuse […] Thibault et le trappeur établissent un camp commun pour passer la nuit […]
Without his sledge, the trapper can easily climb on shore. He has never been in danger but he could have lost his work of the two previous months which it cannot afford. After rounding the bend of the river, he finds a way through and joins Thibault. The handshake was warm full of gratitude. The trapper knows a few words of French and explains he is Dutch. He searches into his sleigh and takes out a beautiful beaver skin which he gives to Thibault. The fur varies from the deepest black to light brown with red highlights. He knows that Kishi will make a gorgeous pair of mittens with it […] The Trapper lit his pipe and smokes it in a way that says it’s a valuable friend […] Thibault and the Dutchman prepare a joint camp for the night […]
Vendredi 3 avril 2015
Samedi 4 avril 2015
[…] Il est épuisé mais ne peut pour autant s’arrêter. Sa vengeance est à ce prix. Les hommes ont de l’avance et le temps joue contre lui.
Kishi a soigné ses blessures et il s’est rétabli aussi vite que possible. Les trois hommes lui sont tombés dessus alors même qu’il arrivait. Le produit d’une saison de traque était arrimé sur une de ses mules. Il n’avait rien pu faire mais avait eu le temps de bien les dévisager et avait mémorisé un maximum de détails sur chacun d’entre eux avant de sombrer. Les coups avaient été violents mais il s’était protégé du mieux qu’il avait pu. Il les retrouvera. Un passant avait donné l’alerte et on le conduisit dans une étable proche. Un médecin passa lui prodiguer les premiers soins et lui conseilla du repos mais il n’en avait pas le loisir. Il devait les retrouver. Un témoin les avait vu partir en direction du Nord-Ouest. Il passa à la cabane pour prendre le matériel nécessaire à une longue traque. Le type de gibier avait changé. Kishi réussit à le convaincre de repousser son départ d’une journée. Il savait qu’elle avait raison comme souvent. Ce repos était nécessaire. Elle lui donna une décoction à base de lichen Usnée et appliqua un onguent de miel et de Millepertuis. Il se réveilla au matin le corps encore douloureux mais désireux de retrouver le produit de son piégeage. L’idée de supprimer les voleurs avait quitté son esprit. Il se vengerait mais il ne pouvait se résoudre à ôter une vie pour sa seule satisfaction […]
[…] He is exhausted but can’t stop. He wants revenge. The men are ahead of him.
Kishi treated his wounds and he has recovered as quickly as possible. The three men jumped him even though he just arrived. The products of this hunting season were on one of his mules. He could do nothing but he had the time to stare at them. The shots were violent but he did the best he could to protect himself. He will find them. A passerby gave the alarm and he was taken to a nearby barn owned by a blacksmith. A doctor gave him the care he needed and advised him to rest, but he had no time. He had to find them. A witness saw them go towards the northwest. He went to the cabin to take the what is needed for a long hunt. Kishi convinced him to postpone his departure for a day. He knew she was right as usual. This rest was needed. She gave him a lichen Usnea based decoction and applied an ointment with honey and hypericum. He woke up in the morning with the body still sore but with the desire to find the product of his trapping. The idea of killing the thieves had left his mind. He will take revenge but he won’t take away a life only for his satisfaction […]
Il y a encore beaucoup de neige malgré les premiers signes du printemps. Là où les voleurs se sont engagés, leur avancée allait être ralentie. Les mulets ne sont pas le meilleur moyen de progression dans la neige profonde et les tourbières gelées […]
Dans le dédale des marais gelés qui serpentent entre les collines recouvertes de pins, d’épinettes et de rares bouleaux, Thibault sait qu’il risque de les perdre. Sa seule chance est de grimper la colline qui surplombe le paysage. Si l’hiver tente la moindre incursion pour lancer une dernière attaque face au printemps, ses espoirs seraient réduits à néant. La montée est épuisante. Il n’a que peu dormi et son corps martyrisé se rappelle à lui à chaque pas. Malgré ses raquettes, il s’enfonce parfois jusqu’aux genoux dans la neige lourde et humide. Chaque pas est une petite victoire. Bientôt la végétation change, les arbres se font plus chétifs et moins nombreux. La neige fait ployer les arbres et dessine des formes inquiétantes et fantasmagoriques.
There is still plenty of snow despite the coming spring. The thieves advance will be slow down. The mules are not the best way to progress through deep snow and frozen peatlands […]
Around a maze of frozen marshes that snake their way between hills covered with pine, spruce and birch rare, Thibault knows he can lose them easily. His only chance is to climb the hill overlooking the landscape. If winter launches a final attack against the spring, his hopes will be shattered. The climb is exhausting. The night was too short and his body is very painful. Despite his snowshoes, he sometimes knee deep in snow. Every step is a small victory. Soon vegetation changes and trees became more frail and less numerous. Snow weighs down tree limbs and draws disturbing and spooky shapes.
Tout à son effort, il ne se retourne pas une fois lors de son ascension. Parvenu au sommet, il scrute les environs avec l’espoir de voir leurs traces mais c’est d’abord la beauté du paysage qui le frappe. La chance est avec lui, le ciel se dégage et son regard peut porter à des kilomètres. La masse sombre de la végétation se découpe sur la dentelle des lacs et des tourbières immaculés. Le spectacle est somptueux. Mais vite, il repère les formes sombres qui avancent sur la neige. Les hommes suivent le grand lac qui s’étend sur des kilomètres. La couche de neige plus fine sur le lac permet aux mulets de progresser plus aisément. C’est un choix logique mais qui ne leur permet pas de se dissimuler.
Thibault sait que ce n’est qu’une question d’heures avant qu’il ne les rejoigne. Tout au plus, un jour ou deux. Leurs traces sont maintenant comme un jeu de tarot chez une voyante, faciles à lire. Il sait se fondre dans la nature. Un trou dans la neige pour enterrer son feu, des essences qui ne dégagent pas de fumée. Son animalité prend le dessus. Ne reste plus qu’à fondre sur sa proie […] Extraits de ”Vie et époque de Thibault Le Blay, coureur des bois”, Jean Duschesne, 1883
Focused on his efforts, he doesn’t look back during his climb. On top, he hopes to see their tracks but, at first, scenic beauty struck him. Luckily, the sky clears and one can see for miles around. Nature’s displays is spectacular. Quickly, he can detect the dark shapes advancing on the snow. The men follow the large lake that runs for miles. The snow is thinner on the lake and allow mules to move more easily. It’s a logical choice but they can’t hide.
Thibault knows it is a matter of hours before he joins them. At most a few days. Their tracks are visible. He knew how to blend in with the environment. He made a hole in the snow to bury his fire and chooses species that would not produce smoke. Now all that remains: hasten to the prey […] Extracts from ”Life and Times of Thibault Le Blay, coureur des bois”, Jean Duchesne, 1883.
Après avoir admiré les photos qui font sentir les difficultés (et la beauté) du long parcours, nous partageons grâce à la video, en point d’orgue, ton exaltation à l’arrivée au sommet de cette colline.
Ce panorama spectaculaire a sûrement participé à recharger les accus après les efforts éprouvants.
Bravo pour la longue expédition en solo réussie…avec de l’avance !
Bravo pour le bel exercice littéraire la relatant, où tout est dit sans parler de toi.
P.Parents
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